J'aime la nuit en ville, belle, profonde,
quand elle valse au gré des phares,
quand les solitudes se répondent
derrière chaque fenêtre éclairée,
s'étirent sur le quai du métro déserté
ou se meurent dans ses néons blafards,
J'aime la nuit en ville, quand les gens se croisent
sans se voir ni se regarder,
chacun dans ses pensées,
se regardent sans se rencontrer,
chacun dans ses rêves secrets,
se parlent sans s'écouter,
chacun dans son monde enfermé.
(photos ci-dessus : biblio et resto du centre Pompidou)
J'aime la nuit en ville, reine en robe turquoise,
quand elle scintille au milieu des gens sans fard,
quand les gens s'y côtoient sans le vouloir,
se quittent dans le brouhaha des gares,
sans savoir si c'est seulement un au-revoir,
se hâtent vers leur foyer sans hasard,
ou errent, loin des fastes de la cité, hagards…
(à gauche, Saint--Germain Odéon, à droite, Arts et Métiers - impasse donnant sur la rue de Palestro)
Oui, j'aime la nuit en ville, quand mon âme vagabonde s'imagine des milliers de vies qui n'existent pas, quand les gens dorment tranquilles pendant que je les crois en éveil grâce à ces rêves d'impossibles ailleurs, de nouvel ici, de probable nulle part, quand, au détour d'une librairie, je pourrais me croire transportée ailleurs alors que je suis là, dans le silence de la nuit qui ne m'appelle pas...
(Very far away, un titre plein de promesses)
J'aime la nuit en ville, parce que je n'aime pas le noir, celui des romans sans espoir, quand je peux croire que, dans les lumières des lampadaires, les monstres se sont évanouis dans la douceur du soir ou se sont volatilisés dans le souffle du dernier métro.
J'aime la nuit en ville, quand la vie ne ressemble plus à une tragédie grecque ni même à une comédie italienne, quand le jeu dans les théâtres et le rire sur les scène effacent la petitesse de ceux qui empoisonnent les nuits de nos jours...
(la toute petite couverture en bleu, à droite du "rire (le)", c'est "Sarko et Co", un livre de Guy Bedos)
J'aime la nuit en ville parce que je n'aime pas le noir, celui qui me fait peur comme cet abîme sans fond, celui où je sombrerais s'il n'y avait cette étincelle qui éclaire les jours de mes nuits, celui qui m'ôterait cette fascination que j'ai pour la vie et ses faces plus cachées que celles de la lune, à l'infini…
J'aime la nuit en ville, quand elle allume ses feux sans artifice au gré de mes désirs, quand "l'imagination est plus importante que le savoir" (*), quand on attend dans la rue du Jour le soir salvateur, pour que la vie continue sa ronde comme un manège déréglé tournant fou, quand nos rêves débordent des écrans jamais assez grands pour les contenir sans flou…
J'aime la nuit en ville, belle et profonde, comme la Seine qui coulait profonde et belle du temps de mes amours tumultueuses, dont les souvenirs continuent de valser dans le soir de mes yeux attendris.
J'aime la nuit en ville, quand tous les masques tombent, quand on devient acteur de ses propres comédies et non empereur de pacotille le temps des flashes et des discours vains pompeux et vaniteux…
J'aime la nuit en ville, quand tout s'apaise, comme le chat qui dort.
J'aime la nuit quand elle tombe sur ma ville...
... et laisse ma vie en points de suspension !